

Miracle de la guerre de Yom Kippour
Aryé Gold, un vétéran de l'armée israélienne, évoque ses souvenirs :
« Domino, je vais passer quelques instants dans la cuisine. Ces mouches m'ont tué. Je dois me reposer. »
C'est après avoir prononcé ces mots que je laissais Domino monter seul la garde et je prenais quelques instants de détente, à l'ombre.
C'était en octobre 1973. Nous étions neuf réservistes, au cœur du
désert, dans une des positions qui se trouvaient à proximité du canal de
Suez. Mon ardeur et mon moral étaient au plus fort. Seules les mouches
me rendaient fou. Je les aurais maudites. Mais que me voulaient-elles
donc ?
Un quart d'heure plus tard, je ne savais comment les remercier. Oui, je dois en convenir, ces mouches m'ont sauvé la vie.
Soudain, Domino – Avraham de son vrai nom – qui était resté en faction, s'est mis à hurler : « Les Égyptiens attaquent ! »
Puis une rafale de mitraillette l'a fait taire. Il s'est tu pour
toujours. Si ce n'était les mouches, il est clair que j'aurais subi le
même sort.
Yom Kippour. Depuis six mois déjà, tous parlaient
des éventualités de la guerre, mais personne n'imaginait qu'elle
éclaterait précisément en ce jour. Personne, sauf le Rabbi de
Loubavitch.
Dans notre position, Avraham en avait été la
première victime. Nous étions tous choqués, paniqués, mais nous nous
sommes très vite ressaisis. Nous savions que notre affolement ne pouvait
que profiter à l'ennemi. Tsion, l'officier chargé de notre groupe, a
réparti les rôles et dans les instants qui suivirent, entre les
bombardements, nous avons quitté notre bunker et disposé tout autour des
sacs de sable.
Nous avons essayé d'entrer en communication
avec le commandement central, mais nous n'y sommes pas parvenus.
Celui-ci était sans doute confronté à un nombre incalculable de
problèmes, tous plus graves que le nôtre. Après tout, nous n'étions que
neuf, plus exactement, nous n'étions que huit et notre position n'avait
pas une grande valeur stratégique.
Nous avons écouté à la radio
les rapports des officiers et des soldats qui étaient sur le terrain.
Au début, ceux-ci étaient mesurés et pleins d'intérêt. Puis, vers le
soir, ils sont devenus inconsistants, incohérents. Les soldats
pleuraient. Nous avons compris que la situation était dramatique et nous
appréhendions ce qui allait se passer. Je demandai à Dieu que tout cela
se termine vite et bien, mais il semble qu'il en ait voulu autrement.
Nous nous sommes réunis dans le bunker central et Tsion a donné les
ordres. Nous avons enroulé le corps d'Avraham dans des couvertures et
nous l'avons posé près de la porte du bunker. Tsion affirma :
«
Même si nous devons être capturés par les Égyptiens, nous
n'abandonnerons son corps à aucun prix. » Tsion avait raison. Un
prisonnier mort en captivité avait plus de chance de rentrer au pays
qu'un cadavre abandonné quelque part dans le désert.
Je ne suis
pas issu d'une famille religieuse, mais je jeûnais cependant. La peur
et l'effroi m'avaient fait oublier la faim. Je transportais nos armes
vers le nord, sur un monticule. J'avais reçu l'ordre, si nous étions
attaqués, de me tenir sur cette hauteur et de tirer sur les attaquants.
J'y stockai la moitié de nos munitions et je regagnai le bunker.
La nuit s'abattit bientôt sur le désert, une nuit décisive, qui restera
gravée dans mon cœur à jamais. La situation était très claire. Les
Égyptiens avaient enfoncé pratiquement toutes nos positions et se
trouvaient à proximité de celles-ci, dans le Sinaï. Ils avaient même
capturé quelques-unes d'entre elles. Nous étions au plus mal.
Les pensées se succédaient dans mon esprit, ma maison, ma mère, mon
père, mes frères, mes sœurs. Que font-ils maintenant ? Pensent-ils à moi
? Se doutent-ils de quelque chose ? Peut-être me reverront-ils, mais
moi, les reverrai-je ? Je tentais de me défaire de ces mauvaises
pensées, mais dès que l'une partait, l'autre la suivait.
Le
matin arriva et, dès lors, ce fut notre tour. Ils nous attaquèrent. Nous
nous sommes réfugiés dans le bunker. Mais, nous entendions les tirs,
toujours plus près. Soudain, les coups de feu cessèrent. Nous avons
respiré. Pas pour longtemps.
Celui qui avait les jumelles les
plus puissantes aperçut des fantassins égyptiens à un kilomètre et demi
de notre position qui se dirigeaient vers nous. Maintenant, ce serait
vraiment notre tour. C'était eux ou nous. Il n'y avait pas d'autre
alternative.
Tsion a donné les dernières instructions et chacun
prit sa position. Il demanda de ne pas ouvrir le feu tant qu'il n'avait
pas distribué à chacun le nombre de cartouches qui lui revenait. Tsion
parvint jusqu'à moi, alors que l'on apercevait déjà les soldats
égyptiens. Il me dit :
« Tire en permanence sur les trois
soldats de droite. Continue de tirer tant que tu n'as pas reçu l'ordre
de cesser le feu. Il ne faut pas qu'ils comprennent que nous sommes
seulement neuf. »
J'avais envie de lui crier que nous n'étions
même pas neuf, mais, au dernier instant, je me suis retenu. À quoi bon
prononcer des paroles inutiles ? Je prends mon arme, le doigt sur la
gâchette, je tire. Je touche aussitôt les trois soldats, parmi lesquels
l'officier. J'ai également détruit leur arme.
De ma position,
j'ai pu m'apercevoir qu’Alon faisait également du bon travail. J'ai
repris courage. J'ai vraiment cru que nous arriverions à les stopper, au
moins pour venger Domino.
Nous avons détruit une autre arme.
C'était déjà la quatrième et quatre Égyptiens, au moins, étaient morts.
Il restait donc un espoir. Jusqu'à ce moment, ils tiraient sur nous en
avançant, sans trop de succès. Maintenant, ils prenaient position sur
les sacs de sable, à deux cents mètres du bunker. Le sol du désert les
cachait. Leurs tirs devenaient plus précis.
Soudain, un cri retentit : « Chmoulik ! »
Le sympathique kibboutznik que nous aimions tous ! Ils l'ont tué !
Notre moral tombait au plus bas. Tsion, l'officier, fut gravement
blessé. Nous n'étions plus que six. Il y avait trois victimes parmi
nous. Je devenais fou : « Mon D.ieu, aide-moi ! »
Mais les
Égyptiens, armés jusqu'aux dents, savaient qu'ils allaient être
victorieux. Ils avaient compris que nous n'étions pas nombreux. Je
voyais, dans mes jumelles, leur regard hystérique, mais que faire ? Ils
étaient tout un groupe et nous n'étions que six.
Nous avions
perdu. Nous nous sommes battus comme des lions, pendant toute la nuit
suivante. À l'issue de celle-ci, nous n'étions plus que quatre. Cinq
morts ! J'ai levé un linge blanc, de sorte que les Égyptiens puissent le
voir. Il était cinq heures du matin. À l'heure où l'on s'éveille pour
se rendre au travail, je disposais les corps, en rang, dans le fond du
bunker. Sur chacun, je plaçai un papier, sur lequel j'inscrivais son nom
et quelques détails personnels. Quel monde !
Tout était fini.
Je savais que le plus dur était devant moi. Avais-je le choix ? Je n'ai
même pas réussi à pleurer. Je n'avais plus de larmes.
Nadav,
l'adjoint de Tsion, sortit le premier, les mains en l'air. Les autres
l'ont suivi et je suis moi-même resté en arrière, aux aguets, pour le
cas où les Égyptiens n'accepteraient pas notre capitulation. Il me
restait encore quelques secondes pour moi-même. Ensuite, je perdrai la
liberté. Je serai un prisonnier !
Soudain, deux hommes se
dressèrent devant moi. Je me suis pincé pour vérifier que je ne rêvais
pas. Mais non, j'étais bien éveillé et il y avait, face à moi, deux
hommes, au visage clair, avec une longue barbe blanche. Ils
s'approchèrent de moi. J’étais encerclé par les Égyptiens et soudain,
deux hommes âgés se trouvaient là, face à moi. Mais que se passait-il
donc ?
Le premier, qui semblait être le plus jeune des deux, me
dit : « Mon fils, n'aie pas peur. Vous partez en captivité, mais vous
en reviendrez sains et saufs. Dis-le à tes amis. » Je n'avais jamais
entendu une voix aussi douce. Mais je fus surtout attiré par son regard
perçant et en même temps infiniment doux. Je bégayai :
« Mais, qui êtes-vous ? Et comment savez-vous que nous reviendrons vivants ? »
Il dit encore :
« S'il le faut, je viendrais moi-même vous sauver. »
Je lui demandai :
« Et comment pourriez-vous nous sauver ? »
Il ne répondit pas, s'approcha de moi, posa sa main sur ma tête et ferma les yeux.
Tout cela se passa en quelques secondes, qui me semblèrent néanmoins
être une éternité. Puis, le second vieil homme appela le premier et tous
les deux s'éloignèrent, puis disparurent. J'étais comme ivre de la
forte impression qu'ils m'avaient faite. Même lorsque les Égyptiens
m'enchaînèrent les mains et fixèrent une barre de fer glacée contre mon
dos, je ne cessais de penser à ce qui était arrivé,
Sept mois s'écoulèrent ensuite, que je passais dans l'enfer le plus
abominable. Tortures, interrogatoires, humiliations furent notre lot
quotidien. Lorsque je me couchais sur ma paillasse à moitié déchirée et
me souvenais de la maison, je pensais toujours à ce vieil homme.
Son
regard ne me quittait pas. L'avais-je déjà vu ? Peut-être était-ce mon
grand-père, qui était descendu du Gan Éden. Mais, non ! Il ne
ressemblait pas du tout à mon grand-père. C'était sans doute une
hallucination, à l'issue de ce dur combat. Cela passera. Pourtant, son
regard perçant me suivait partout. Un tel regard ne pouvait pas être une
hallucination.
Après notre libération, on nous a placés dans
un avion. Des camionnettes égyptiennes nous ont conduits à Refidim et,
de là, nous nous sommes envolés vers l'aéroport Ben Gourion. Nous avons
atterri et, aussitôt, nous avons été emportés par un océan d'émotion.
Mon père, ma mère, tous m'attendaient à l'aéroport. Comment se passera
la première rencontre ? Est-ce que je supporterai le choc ? Pour la
première fois depuis Yom Kippour, des larmes coulaient de mes yeux.
Pourquoi juste maintenant ? Je ne le saurai jamais.
Nous étions
donc là tous les neuf, quatre soldats et cinq corps, neuf réservistes.
Soudain, il y eut un terrible vacarme. Des porteurs de bagages couraient
dans tous les sens. Des hommes étaient émus. Je me tournai vers le côté
droit. Trois ‘Hassidim barbus étaient là, qui distribuaient à qui le
désirait des gâteaux et quelques gouttes de vodka, en criant : « Le'haïm
! Le'haïm ! »
Ils proposaient également à tous les hommes qui passaient par là de porter les Téfilines.
Instinctivement, je me suis rapproché d'eux. Et, soudain, je l'ai vu !
C'était bien lui. Je reconnaissais son regard perçant, sa douceur
naturelle. C'était le vieil homme qui me fixait, de son visage lumineux.
Je l'entendais presque dire : « N'ai-je pas promis que tu reviendrais ?
»
Sous la photographie, son nom était inscrit : « Le Rabbi de Loubavitch ».