Un rêve bien réel

La célèbre ville arabe du Caire comptait jadis de nombreuses synagogues. Il y en avait de grandes et de plus petites, certaines possédaient des colonnes de marbre, d’autres des planchers de bois, mais toutes gardaient en commun une chose : quand sonnait l’heure de la prière, elles se trouvaient si remplies, que les Juifs avaient peine à se prosterner devant leur D.ieu sans se pousser les uns les autres.

Rabbi Isaac Louria appartenait à ces hommes de grande piété. Il ne manquait jamais une oraison de sorte que, même quand la synagogue était pleine, personne ne venait occuper son siège. Une fois pourtant il trouva à sa place un inconnu. Contrarié, il s’assit à son côté et ouvrit son livre de prières, lorsqu’il fut saisi d’une étrange curiosité. Se penchant vers l’homme, il s’aperçut que le livre qu’il tenait était plein d’obscures énigmes.

Rabbi Isaac Louria oublia tout ce qui l’entourait. Il se plongea dans les étranges symboles et pénétra, mot par mot, phrase par phrase, dans les mystérieux commentaires ; ainsi ne remarqua-t-il pas que l’oraison était finie depuis longtemps : tous les gens étaient partis et à la place de l’étranger, il ne restait que le livre ouvert.

A dater de ce jour, Rabbi Isaac Louria changea. Il quitta la ville pour s’installer dans une petite maison au bord du Nil, où il se consacra nuit et jour à l’oeuvre ésotérique. Personne ne savait que c’était un messager de D.ieu qui la lui avait apportée, et personne ne se doutait non plus que, dans la nuit, l’âme de Rabbi Isaac Louria s’élevait dans les hautes sphères célestes.

Là, elle s’instruisait auprès des Sages disparus depuis longtemps, et lorsqu’au matin elle regagnait son corps saint, Rabbi Isaac Louria révélait de grands mystères. Les Juifs bientôt vinrent à lui de tous les horizons, et Rabbi Isaac Louria lisait dans leur visage comme dans un rouleau de parchemin : il savait ce qu’ils avaient fait au cours de leur vie et ce que l’avenir leur réservait, et distinguait au premier coup d’oeil les bons et les méchants.

Une fois, peu avant le début du Chabbat, jour de repos, Rabbi Isaac Louria aperçut 4 voyageurs venant vers sa maison. Ils marchaient avec peine, comme après un long voyage, et leur visage était sombre. Rabbi Isaac Louria sortit sur le seuil. Dans sa simarre blanche qu’il portait pour accueillir le Chabbat, il rayonnait, tel un ange qui viendrait de descendre sur terre. En l’apercevant, les voyageurs s’arrêtèrent, emplis de crainte. Mais, avec un sourire bienveillant, Rabbi Isaac Louria leur dit :

- " Qu’est-ce qui vous amène ? Confiez-moi votre souci avant le saint Chabbat, que vous le passiez dans la joie et la paix."

- "Comment pourrions-nous nous réjouir ? gémirent les hommes. Nos coeurs sont affligés, et le Chabbat ne fait que nous rapprocher du jour de notre anéantissement."

-" Parlez", fit Rabbi Isaac Louria, encourageant les voyageurs.

Alors ceux-ci lui rapportèrent que dans leur lointain pays le roi avait pris en haine tous les Juifs : il leur avait ordonné de déposer dans son trésor avant 3 mois une énorme somme d’argent, les avisant que s’ils ne l’apportaient pas, la moitié d’entre eux seraient exécutés et les autres vendus comme esclaves.

Des messager du roi s’étaient aussitôt mis en route à travers le pays pour proclamer l’ordre du souverain. Mais la somme exigée était très élevée, et les Juifs étaient loin d’en posséder fût-ce la moitié.

- "Même si toutes les larmes que nous avons déjà versées étaient en or, nous ne pourrions acquitter ce tribut, conclurent les visiteurs. Mais nous avons entendu parler de toi, de ton grand pouvoir et des miracles que tu accomplis d’une seule parole. Nous te prions donc de nous aider et de détourner de nous le danger qui nous menace."

- "Ne craignez rien", répondit Rabbi Isaac Louria en les apaisant, "et ne désespérez pas.La tristesse ne sied pas au Chabbat. Restez ici à présent, et demain vous verrez que votre voyage n’était pas inutile."

Le lendemain, dès la fin du Chabbat, Rabbi Isaac Louria invita les voyageurs à prendre de solides cordes et à le suivre jusqu’au champ voisin. S’arrêtant alors près d’un puits profond, il leur ordonna :

- "Faites descendre l’extrémité de votre corde jusqu’au fond et lorsque je vous le dirai, remontez-la !"

Les hommes obéirent et, sur son signal, se mirent à tirer. Ils pensaient que cela irait tout seul, mais, à leur grand étonnement, ils furent obligés d’y employer toutes leurs forces. Les cordes leur échappaient, comment entraînées par quelque lourd fardeau et, avant d’avoir réussi à faire ce que demandait Rabbi Isaac Louria, ils étaient épuisés.

Enfin, l’extrémité des cordes apparut sur la margelle du puits et les hommes comprirent alors pourquoi ils avaient eu tant de mal. A leur extrémité, étaient attachés les pieds d’un grand lit d’or sur lequel un roi reposait, vêtu d’une seule chemise de soie.

- " C’est lui, le souverain qui veut nous anéantir ! s’écrièrent les voyageurs effrayés."

Rabbi Isaac Louria fit signe aux hommes de se taire et secoua le roi. Celui-ci se réveilla et regarda autour de lui sans comprendre. Sans lui laisser le temps de se ressaisir, Rabbi Isaac Louria mit dans sa main un seau sans fond, en disant :

- "J’ai appris que tu demandais à mes frères quelque chose qu’ils ne pouvaient te donner. Eh bien moi, je te donne jusqu’à l’aube pour vider l’eau de ce puits!"

- "Comment le pourrai-je ? s’exclama le roi avec désespoir. Ce seau n’a pas de fond ! "

- "Et comment les Juifs de ton pays pourraient-ils te payer ?" rétorqua Rabbi Isaac Louria. "Tu sais bien que même s’ils vendaient tous leurs biens, ils ne rassembleraient jamais la somme nécessaire. Alors réfléchis bien : ou bien tu passes le reste de tes jours à vider ce puits à l’aide du seau sans fond, ou bien tu signes immédiatement en scellant de ta bague royale que les Juifs t’ont déjà versé l’argent."

- "Je signe, fit le roi en sanglotant d’effroi. Je ferai ce que tu voudras, pourvu qu tu me laisses revenir tranquillement dans mon palais."

- "Signe d’abord !" ordonna Rabbi Isaac Louria. Il sortit un acte attestant que les Juifs n’avaient aucune dette envers le souverain, exigeant du roi qu’il le signe et y appose son sceau.

- "Te voilà libre à présent !" fit Rabbi Isaac Louria. "Veux-tu retourner au palais à pied, ou par le puits ?"

- "Je préfère reprendre le chemin par lequel je suis venu", répondit le souverain apeuré.

- "Dans ce cas, allonge-toi", commanda Rabbi Isaac Louria. Puis il fit signe à ses compagnons de laisser redescendre dans le puits le roi et son lit.

A l’aube, les visiteurs firent leurs adieux à Rabbi Isaac Louria. Celui-ci leur remit l’acte garantissant l’existence des Juifs dans leur pays lointain, et ils reprirent le chemin du retour le coeur léger. Pour le roi, par contre, la journée commença mal. Il se réveilla en sueur et si angoissé qu’il n’osa pas interroger ses devins sur le sens de son rêve.

- "Quel terrible cauchemar" ! pensa-t-il. "Heureusement que ce n’était qu’un songe !"

Mais cette frayeur nocturne poussa le souverain à haïr les Juifs davantage encore. Il attendait avec impatience le jour où ils devraient lui apporter l’argent et, dans sa fureur, il inventait pour ces malheureux des punitions de plus en plus cruelles. A l’heure dite, les messagers des Juifs se présentèrent devant le roi.

- "Où est l’argent ?" s’écria celui-ci d’un ton menaçant. "Payez immédiatement !"

- "C’est déjà fait", répondirent les Juifs avec calme, en montrant l’acte au roi. "Tu reconnais sans doute ta signature et ton sceau."

Lorsque le roi aperçut le document portant sa signature et son sceau, il fut saisi d’un terrible effroi. Il s’écroula sur le sol, et les médecins de la cour mirent plus d’une heure à lui faire reprendre ses esprits.

- "Ce que vous dites est exact", répondit-il aux Juifs avec peine. "Je me porte garant de votre vie comme de celle de tous les vôtres."

Le souverain donna l’ordre de ne plus nuire aux Juifs qui se réjouirent longtemps du miracle qui les avait sauvés.

Le Journaliste de Kobi Levy
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