

Le Procès
Comme chaque vendredi après-midi, la maison de
Rabbi Its’hak Eizik, le Rabbi de Vitebsk quittait peu à peu le temps
profane pour s’emplir de la lumière intemporelle du Chabbat.
Pourtant, plusieurs coups bien sonores frappés à la porte contraignirent le Rabbi d’abandonner ses saints préparatifs.
Un homme était là qui, sans ambages, indiqua l’objet de sa visite : il avait besoin d’un din-torah, d’une sentence rabbinique.
« C’est que, dit Rabbi Eizik, je suis maintenant très pris. Est-ce que
tu ne pourrais pas revenir avec ton contradicteur après Chabbat ? ».
Non, l’homme ne le pouvait pas. Il était un mélamed, un instituteur,
et, toute la journée, tous les jours, du matin au soir, il s’occupait
des enfants. De toute la semaine, son seul moment disponible était le
vendredi après-midi.
Rabbi Eizik dut ainsi se résoudre à
entendre la dispute qu’on voulait lui soumettre. Cependant, il arrêta le
mélamed : « avant que tu m’exposes ta demande, tu dois aller chercher
ton contradicteur ; je n’ai pas le droit de t’écouter hors de sa
présence ».
La réponse tomba , fracassante : « Il est là, c’est D.ieu ».
Le Rabbi resta pensif un long moment . Enfin, levant les yeux vers le
visiteur, il lui demanda simplement d’exposer le litige et ses
arguments.
Pour le litige, il était simple : l’homme avait une
fille en âge de se marier, mais d’argent point . Pas le moindre kopeck
pour acheter des vêtements ou pour les frais de la cérémonie, rien pour
la dot…
« Ma demande , conclut le mélamed, est que D.ieu a
l’obligation légale de me fournir ce qui est nécessaire au mariage de ma
fille ».
Rabbi Eizik interrogea alors quant aux arguments qui venaient à l’appui d’une telle demande. Le plaignant les énonça :
« Le Talmud déclare que la naissance d’un enfant est l’affaire de trois
associés, l’épouse, son mari et D.ieu. Or deux des associés, mon épouse
et moi-même, sont pauvres. Mais le troisième, de Son propre aveu,
dispose d’immenses richesses. Ne déclare t-il pas par la bouche du
prophète Haggaï qu’ à Lui appartiennent l’argent et l’or ? Dans ces
conditions, il Lui revient de consacrer les investissements
indispensables à la réussite de nôtre entreprise commune ! ».
Le Rabbi se retira, consulta plusieurs ouvrages, soupesa précautionneusement chaque argument.
Quand il réapparut, ce fut pour prononcer le jugement :
« Le Saint Béni soit-Il, en vertu de la Loi édictée par la Torah, est
tenu d’apporter tous les moyens nécessaires au mariage de la fille du
mélamed ».
Arrivant chez lui, ce dernier fut surpris de voir un somptueux carrosse , s’éloignant de sa misérable demeure.
Rayonnante de bonheur, son épouse, sur le pas de la porte, lui raconta
la chose extraordinaire qui venait d’arriver : un noble était venu la
voir, accompagné de son épouse. Cette dernière était convaincue d’être
victime du mauvais œil et avait entendu dire que l’épouse de
l’instituteur juif connaissait des remèdes efficaces.
« Quand
il m’ont demandé combien il leur en coûterait, je leur ai réclamé la
somme dont nous avons besoin pour marier notre fille. Regarde : ils
l’ont posée là, sur la table sans discuter »
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