Victor III ou le mystère du Pape juif

Le mystère du Pape Victor III n’a jamais été complètement élucidé. Selon qu’il s’agisse de sources chrétiennes ou juives, les versions divergent.
En 1055, il retourna à sa communauté monacale. En 1059, il fut ordonné cardinal-prêtre.
Desiderius
fut le plus grand des abbés de Monte Cassino. Il reconstruisit l’église
et le couvent, fonda une école d’art et rétablit la discipline
monastique de sorte que 200 moines vinrent s’établir dans le monastère.
Desiderius fut ensuite appointé comme vicaire papal par le Souverain Pontife, avec pour fonction de nommer évêques et abbés.
Assurément
l'importance de Desiderius dans l'histoire papale repose sur
l’influence qu’il exerça auprès des Normands en faveur du Saint-siège.
A cette époque, l’Italie était en proie à de nombreuses querelles, notamment entre Normands et Lombards, entre l’Empire byzantin et la Papauté. Durant ces longues années de conflit, Desiderius diplomate du Vatican, essaya sans relâche de rallier chaque partie au Saint-Siège. Finalement, la papauté remporta la victoire sur l’empire et les Normands s’installèrent dans le sud de l’Italie. Suite à la mort du pape Grégory VII, les cardinaux se réunirent pour élire son successeur. Desiderius fut choisi malgré ses réticences à exercer cette haute fonction . Il devint le Pape Victor III en 1086. Mais un an après, sous la pression du peuple qui se révolta, Victor III fut chassé de Rome. Il se retira à Monte Cassino, abandonnant son insigne papal. Ainsi s’acheva son très bref règne et peut-être même sa vie car personne ne sut jamais ce qu’il devint.
L'histoire chrétienne évoque le Pape Victor III comme un personnage bien moins important que Desiderius le grand abbé de Monte Cassino. Il semblerait que ce fut sa santé fragile qui l'avait rendu réticent à accepter la lourde et prestigieuse charge qui lui avait été proposée. En effet, il paraîtrait que dès la première messe prononcée après sa consécration, il ait été pris de faiblesse.
Selon les sources juives, l’histoire du Pape Victor III est bien différente.
Il
y a 900 ans environ, vivait à Mayence un érudit du nom de Rabbi Chimon
Hagadol, connu pour sa piété, son érudition et ses poèmes religieux. Ce
sage avait un fils nommé El Hanan qu’il éduquait dans l’amour et la foi
du judaïsme.
A
l’âge de 4 ans, El Hanan tomba gravement malade. Marguerite, la bonne
chrétienne qui s’occupait de l’enfant qu’elle aimait beaucoup regrettait
cependant qu’il fût juif. Elle nourrissait l’espoir secret qu’un jour
elle en ferait un chrétien. Elle fit le vœu que si l’enfant guérissait,
elle l’enlèverait pour le conduire au monastère où il grandirait en bon
chrétien.
Rabbi
Chimon jeûnait et priait pour le rétablissement de son fils bien-aimé.
Pessah arriva. Lors du Seder, le miracle se produisit : la santé d’El
Hanan s’améliora. Bien qu’encore faible, le garçon participa à la fête
et posa les 4 questions traditionnelles.
Le
lendemain, les parents se rendirent seuls à la synagogue, laissant
l’enfant à la maison avec Marguerite. A leur retour, quelle ne fut pas
leur stupéfaction : El Hanan et la bonne avaient disparus. Toutes les
recherches pour les retrouver restèrent vaines.
Marguerite
avait, comme promis, conduit l’enfant encore malade et affaibli par le
voyage, au monastère où elle se dévoua pour le sauver. Cependant, El
Hanan rechuta et perdit même la mémoire. Il oublia ainsi qu’il était
Juif.
Un moine s’occupa de son éducation religieuse et le prépara à entrer dans les ordres du monastère. El Hanan fut baptisé sous le nom de Félix. Il se révéla très doué pour les études.
Il
fut alors envoyé à Rome pour y poursuivre des études supérieures. Il
parvint de la sorte aux plus hautes charges ecclésiastiques. Le Pape
Grégoire VII le nomma évêque puis cardinal et l’envoya souvent comme
représentant du Vatican pour des missions diplomatiques.
Un an après la mort du Pape Grégoire VII, Félix fut élu pape et prit le nom de Victor III.
Mais
une question ne cessait de le tourmenter lui qui croyait avoir été
abandonné : qui étaient ses parents ? Devenu cardinal, il tenta
d’enquêter auprès du monastère mais le complice de Marguerite, le seul
qui eût pu le renseigner était mort. Alors Félix se résigna.
Un
jour, Victor III reçu une demande d’audience privée de la part du
rabbin de Mayance concernant un décret persécutant les Juifs en raison
de leur appartenance religieuse. L’entrevue fut très cordiale et
amicale. Le Pape promit au rabbin d’intercéder auprès de l’évêque local
pour annuler ce décret. Les deux hommes en vinrent à parler religion. Le
rabbin s’étonna des vastes connaissances bibliques, historiques et
hébraïques du Pape. Il lui avoua écrire des poèmes religieux, ce qui
intéressa fortement le Pape qui lui demanda aussitôt de lui en montrer
quelques uns.
Alors
le rabbin lui confia : « En parlant de piyout (poèmes religieux), je ne
peux m’empêcher de penser à celui écrit pour mon enfant enlevé alors
qu’il avait 4 ans. »
«
Puis-je le voir ? » demanda le Pape. En le lisant, le souverain pontife
pâlit en reconnaissant les mots entendus dans son enfance et s’exclama «
Père, père chéri ! ». Il se jeta dans ses bras.
Le
rabbin répondit : « Comment puis-je t’appeler mon fils, maintenant ? Tu
n’es plus mon fils ». Le Pape rétorqua : « Ne m’as-tu pas appris que
dieu est plein de grâce envers son héritage ? Que si un Juif s’écarte du
judaïsme, dieu dans son amour l’aide à y retourner ? Maintenant, je
veux revenir à toi, à mon peuple, à Dieu ! »
Au collège des cardinaux du Vatican qui se tint quelques jours plus tard, tout le monde attendit en vain le Pape. On le chercha mais nul ne retrouva jamais sa trace. Personne n’aurait pu penser qu’il avait rejoint son peuple, le peuple juif persécuté.
Source : Noémie Grynberg 2006