

Une synagogue est une synagogue, mais je n’apprécie pas le bedeau !
Michael Vishetzky se rendit une fois dans
une synagogue du Bronx, à New York. Il fut surpris de constater que le
rabbin, Rav Rabinowitz, s’asseyait au coin de la table plutôt qu’à sa
tête. « Nul ne s’asseoit à cette place ! » expliqua le vieux rabbin. Il raconta alors pourquoi :
« A mon arrivée aux États-unis après la Shoah, j’ai eu le privilège de
rencontrer le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak. Je
lui ai raconté tout ce que j’avais subi en Europe et lui ai demandé que
faire de ma vie. Il me conseilla : “Puisque vous êtes un érudit, vous
devriez rechercher un poste de rabbin de communauté.”
Juste
après cette entrevue, on me proposa justement de devenir le rabbin de
cette synagogue du Bronx. Quand je demandai au Rabbi son avis, il me
répondit : “Une synagogue est une synagogue et cela convient
parfaitement. Néanmoins je n’en apprécie pas le bedeau !”
Je me
demandai pourquoi le Rabbi avait mentionné le bedeau. Voyant que
j’étais étonné, le Rabbi répéta : “Une synagogue est une synagogue, mais
je n’apprécie pas le bedeau !”
J’acceptai l’offre : tout
semblait bien se passer, mais je découvris que le bedeau ne m’aimait
guère. Il faut préciser que depuis la mort de l’ancien rabbin de cette
synagogue, il avait assumé de nombreuses responsabilités et était, de
fait, devenu la personne dominante. Il avait l’impression, maintenant,
que je le repoussai et il me mit des bâtons dans les roues. La situation
empira et devint insupportable.
Quand je ressentis que la
coupe était pleine, je retournai au 770 Eastern Parkway. Rabbi Yossef
Its’hak n’était plus de ce monde : son gendre, le Rabbi, lui avait
succédé le 10 Chevat 1950. Avant que j’ai eu le temps d’ouvrir la
bouche, le Rabbi me dit : “Mon beau-père le Rabbi avait déclaré qu’une
synagogue est une synagogue mais qu’il n’appréciait pas le bedeau.
Vous
devez continuer de servir comme rabbin dans cette synagogue. Quant aux
problèmes que vous rencontrez avec le bedeau, ce sera bientôt à lui de
s’inquiéter pour son travail !”
J’étais stupéfait par ce qui
m’arrivait. Quand j’avais parlé avec le Rabbi précédent, nul n’était
présent dans la pièce et je n’avais jamais évoqué la situation avec son
gendre, le Rabbi.
Quelques jours plus tard, je n’arrivais pas à
dormir. Quand l’aube pointa, je décidai de me rendre à la synagogue
plus tôt que d’habitude. En chemin, je fus surpris de rencontrer le
président et le trésorier qui se dirigeaient aussi vers la synagogue à
cette heure inhabituelle. Le trésorier remarqua que la lumière était
allumée dans une des pièces.
C’était curieux ; nous avons ouvert la
porte sans faire de bruit : le bedeau avait rassemblé toutes les boîtes
de Tsedaka (charité) et les vidait dans ses poches ! Inutile de dire
qu’il fut renvoyé sur le champ.
Les années passèrent. Puis un
événement encore plus incroyable arriva. La synagogue était mitoyenne
d’une boucherie.
Celle-ci prospéra et devint bien vite trop petite. Le
propriétaire décida d’acheter une autre boutique et nous proposa de
racheter l’ancienne : comme notre synagogue était justement devenue trop
petite pour les fidèles de plus en plus nombreux, nous avons accepté
bien volontiers la transaction. Comme nous entretenions de bonnes
relations avec le boucher, tout se passa à l’amiable, sans contrat
écrit.
Quelques années plus tard, le boucher chercha un
entrepôt. Comme il n’en trouvait pas, il se souvint qu’aucun document
n’attestait de la cession de son ancienne boutique : sans aucun
scrupule, il réclama à la direction de la synagogue qu’on lui rende «
son » bien ! Il engagea un avocat et avait toutes les raisons d’être
persuadé de gagner le procès.
Effectivement, vu l’absence de
documents écrits, le tribunal ordonna aux responsables de la synagogue
d’évacuer l’ancienne boutique dans un court délai. Passée cette date, la
police procéderait elle-même au déménagement. Je me rendis à nouveau
chez le Rabbi pour demander sa bénédiction.
Quand je lui
décrivis la situation, il répondit : “Mon beau-père le Rabbi vous a dit
clairement qu’une synagogue est une synagogue. Tout se passera pour le
mieux.”
La nuit précédant la date fatidique, j’eus un rêve que
je n’oublierai jamais : je me rendais à la synagogue et apercevais le
Rabbi précédent assis sur la chaise à la tête de la table – justement la
chaise sur laquelle je ne laisse jamais personne s’asseoir. A ses côtés
se tenait, debout, le Rabbi qui disait : “Ne vous inquiétez pas, D.ieu
fera que tout se passera bien !” Il regarda alors le Rabbi précédent et
ajouta : “Le Rabbi vous a dit qu’une synagogue est une synagogue :
pourquoi vous inquiétez-vous ?”
J’étais bouleversé : le Rabbi
précédent se tenait devant moi alors qu’il avait quitté ce monde dix ans
auparavant ! J’étais encore sous le coup de cette apparition quand je
me réveillai. Je courus vers la synagogue aussi vite que je le pus. La
foule s’était rassemblée devant le bâtiment tandis que la police
bloquait l’entrée.
Les déménageurs mandatés par les huissiers avaient
commencé à enlever les meubles. C’est alors qu’un événement dramatique
survint : dans une rue non loin de là, le boucher se trouvait dans sa
nouvelle boutique quand un tube de néon tomba soudain du plafond et
l’assomma. Il s’évanouit. Dès qu’il reprit conscience, il s’écria : “De
grâce ! Arrêtez d’évacuer la synagogue !”
Quand la police arriva, il
admit qu’il avait proféré de fausses accusations, et qu’il avait été
dûment payé en cédant son ancienne boutique à la synagogue.
Maintenant, vous comprenez pourquoi, je ne laisse personne s’asseoir à
cette place. L’image du Rabbi précédent assis ici sera toujours présente
devant moi ! » conclut Rav Rabinowitz pensivement.